Suite à mon dernier article sur les huiles, un internaute me transmet un article d’Hervé This, « chimiste culinaire » qui prend le parti de redonner à l’huile de palme une respectabilité à partir de l’argumentation d’un chercheur, Jean Graille.
Le texte d’Hervé This : http://hervethis.blogspot.fr/2013/07/mise-au-point-propos-de-la-polemique.html?m=1
Qui est Jean Graille ?
Je cite : « Jean Graille anime des recherches autour de trois thèmes principaux : biotechnologie, oléochimie et technologie. Une approche concrète des problèmes et une connaissance du monde de l’industrie lui permettent de concilier recherches fondamentale et appliquée, « l’essentiel de nos recherches est mené en contrat avec les industriels du secteur agro-alimentaire mais aussi pharmaceutique et cosmétique » confirme Jean Graille » et un peu plus loin on apprend que » Jean Graille a signé à ce jour plus de 150 publications scientifiques dans des revues internationales et son laboratoire est détenteur de 15 brevets dont celui déposé avec une société allemande sur la production de l’huile de drupalm (une huile de palme conservant ses antioxydants, mais gardant la même composition en acides gras). Référénce www.gazettelabo.fr/archives/publics/2000/45graille.htm
Mais mettons à part le « conflit d’intérêts ». L’huile de palme est-elle recommandable comme veut le faire penser Jean Graille ?
Ses acides gras saturés seraient non absorbés grâce à leur position sur les positions 1 et 3 du trident glycérophosphate des triglycérides et grâce au calcium qui fait des savons et les entraîne vers l’excrétion fécale. Et la position 2 serait surtout occupée par des acides gras insaturés.
Qu’en est-il ? La notion que les acides gras en position 2 sont plus absorbables est issue d’études sur des lapins et n’a pas été retrouvée dans les études humaines. Par ailleurs lors de la formation des chylomicrons, 30% des acides gras migrent de la position 2 à la position 1 ou 3 (« transestérification »). Par ailleurs, le calcium ne peut bloquer l’absorption d’acides gras que s’il est suffisamment présent dans l’alimentation. Or selon les études montrent que l’alimentation actuelle n’apporte pas les apports recommandés en calcium. S’ajoute à cela que suite à des conseils des autorités de santé publique qui n’ont pas été mois à jour, la majeure partie du calcium vient de produits laitiers, comme le fromage, où il est déjà complexé à des acides gras et donc non disponible pour bloquer des acides gras provenant d’huiles. Au contraire l’huile de palme réduit l’absorption du calcium, ce qui n’est évidemment pas souhaitable.
Références : Emken EA et al, Effect of triacylglycerol structure on absorption and metabolism of isotope-labeled palmitic and linoleic acids by humans, Lipids. 2004 ;39(1):1-9
Berry SE, Triacylglycerol structure and interesterification of palmitic and stearic acid-rich fats: an overview and implications for cardiovascular disease, Nutr Res Rev, 2009 ; 22 (1) :3-17
Hunter JE, Studies on effects of dietary fatty acids as related to their position on triglycerides,, Lipids, 2001; 36 (7) :655-68
Le consensus : l’huile d’olive et l’huile de colza sont recommandées, pas l’huile de palme. Ajouter des acides gras saturés en quantités par l’huile de palme alors qu’il y en encore beaucoup trop dans l’alimentation actuelle et qu’elles sont un puissant contributeur au surpoids, aux pathologies cardiovasculaires, aux pathologies inflammatoires et allergiques et àux cancers les plus fréquents n’est pas une bonne idée. D’autant plus qu’une partie de ses acides gras insaturés sont des oméga six dont nous sommes déjà surchargés avec des conséquences délétères sur l’inflammation et les cancers du sein.
Enfin la situation concernant la production des huiles dans le monde est en pleine contradiction avec les reccommandations. On observe une forte croissance de la consommation mondiale qui a dépassé 54 millions de tonnes en 2012 contre 22,5 millions de tonnes en 2010 ! Ainsi, l’huile de palme est aujourd’hui la plus consommée dans le monde (25 % de la consommation mondiale en 2010), dépassant de peu l’huile de soja (24 %) – une huile contenant un peu d’oméga trois mais beaucoup trop riche en oméga six – et de loin celles de colza (12 %), de tournesol (7 %), d’olive (1%) seulement…
Mr Graille minimise aussi l’impact écologique de déforestation et de réductions des habitats de l’orang outang, du nasique, du tapir et de très nombreux animaux à Bornéo, en Malaisie, en Indonésie… Au Nigéria, autre producteur massif d’huile de palme, cette pratique ajoute un désatre écologique à celui produit par les pétroliers qui laissent derrière eux des lacs d’hydrocarbures à la place des forêts.
« La foret indonésienne est en train de disparaitre peu à peu, pour laisser place aux plantations de palmiers à huile destinées à alimenter l’industrie agro alimentaire du pays.
Selon les estimations des experts de Greenpeace, c’est l’équivalent d’un terrain de football qui disparait toutes les quinze secondes pour faire place aux plantations. » Emeline Crossy, www.toute-lactu.com/2011/11/25/600-millions-de-dollars-pour-lutter-contre-la-deforestation/
« La secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a annoncé aujourd’hui une aide de 600 millions de dollars (440 millions d’euros) à l’Indonésie, 3ème émetteur de gaz à effet de serre dans le monde, pour la lutte contre la déforestation et le développement des énergies nouvelles.
Cette somme, distribuée par l’agence gouvernementale américaine Millennium Challenge Corporation (MCC), va « favoriser les énergies renouvelables et soutenir la gestion des ressources naturelles », a déclaré Clinton en marge d’un sommet asiatique sur l’île indonésienne de Bali. « Nous pensons que les habitants des zones rurales pourront ainsi accroître leurs revenus tout en réduisant leur dépendance à l’égard des énergies fossiles et de la déforestation », a-t-elle ajouté.
L’Indonésie est la 18ème économie mondiale mais le troisième émetteur de gaz à effet de serre. La déforestation est à l’origine de 85% de ces émissions et les initiatives se sont multipliées ces derniers temps pour lutter contre le phénomène, qui menace une des biodiversités les plus importantes au monde.
La Norvège a promis une aide d’un milliard de dollars, conditionnée à des progrès dans la lutte contre la déforestation. Jakarta a de ce fait instauré un moratoire sur les coupes mais ce dernier a été critiqué par plusieurs organisations écologistes, qui ont pointé du doigt des lacunes qui permettent la poursuite de la déforestation. La corruption endémique du pays freine également l’application du moratoire, selon ses détracteurs » www.lefigaro.fr/flash-actu/2011/11/19/97001-20111119FILWWW00315-deforestation-600m-us-pour-l-indonesie.php.
Conclusion valable pour tous les sujets qui nous préoccupent le plus aujourd’hui : si les scientifiques trouvaient suffisamment d’indépendance par rapport aux intérêts industriels, militaires ou politiques ils pourraient se positionner de façon plus éthique et ne donneraient pas aux entreprises délètères des décennies de sursis, sur le prétexte de controverses, pour continuer à endommager la santé et la planète !
Je vous renvoie à ce sujet, aux congrès et livres qui dénoncent ces « marchands de doute ».
Naomi Oreskes et Erik M. Conway, Les Marchands de doute, ou comment une poignée de scientifiques ont masqué la vérité sur des enjeux de société tels que le tabagisme et le réchauffement climatique, Le Pommier
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